Liminals Spaces

Captation vidéo

Attirés par les lumières qui se reflètent sur les murs, nous traversons l’espace pour découvrir des films. Ces œuvres en plan fixe présentent des espaces clos, désertés, sombres, dans lesquels des présences apparaissent, traversent ou occupent brièvement l’environnement. Seules, elles semblent ignorer la caméra.

À l’origine, cette imagerie architecturale renvoie à la légende urbaine des Backrooms, apparue en mai 2019 sur un forum. Cette légende décrit des lieux accessibles en traversant un mur ou un sol, plongeant l’individu dans une dimension parallèle, vide et angoissante. Les images associées mettent en scène des cages d’escalier, des couloirs d’hôtels ou de supermarchés désertés, suscitant une oppression latente. Ce sentiment d’étrangeté provient en partie du concept de Kenopsia, qui désigne l’atmosphère singulière d’un lieu autrefois animé, mais désormais abandonné. En partageant ces images, les internautes ont contribué à la création d’un récit collectif autour d’une esthétique liminale, où les espaces vides, en apparence anodins, deviennent surréels et troublants.

Mes films s’inscrivent dans cette esthétique liminale, mettant en scène des actions vidées de leur sens premier par la nature de ces environnements isolés. À travers des simulations et des répétitions de gestes, de comportements, ces figures réapparaissent inlassablement, piégées dans une boucle, un espace-temps figé. Elles incarnent le bug, l’anomalie.

La répétition interroge la notion même de début et de fin. Y a-t-il une sortie ? Cette structure cyclique rappelle "Vexation Island" de Rodney Graham, où un corsaire endormi sur une plage se réveille, secoue un cocotier, reçoit une noix de coco sur la tête et retombe dans son sommeil, rejouant indéfiniment la même scène. Ce processus altère la perception du temps et fait émerger une nostalgie étrange. L’obscurité, la pixellisation, le flou génèrent une appréhension, un frisson, rappelant l’esthétique du found footage et des archives vidéo. Les boucles filmiques deviennent alors des représentations d’états mentaux : folie, isolement, oubli, enfermement, peur.

Si l’image dévoilait tout, il n’y aurait plus de secret, plus rien à voir. C’est là que réside l’Unheimlich, ou inquiétante étrangeté, tel que défini par Freud. Une frontière floue entre réalité et surnaturel, où l’inexplicable s’immisce dans le familier. Ce trouble pousse le spectateur à s’interroger sur sa propre perception de la réalité et la nature même de l’espace-temps, évoquant la froideur mécanique des caméras de surveillance. Ces films ne se contentent pas de représenter des espaces : ils en révèlent les fantômes. Des présences errantes, piégées dans une mécanique absurde, un théâtre du vide où l’absence devient le protagoniste.